Le vicomte Jacques de Lesseps

Référence: http://www.histoiresoubliees.ca/histoire/jacques-de-lesseps-un-comte-dans-le-ciel.

Émission no 32 Histoires oubliées. Productions Vic Pelletier Matane

Partie 1

Partie 2

Productions Vic Pelletier inc. Tous droits réservés. Ce DVD est disponible en achat ou en location sur le site web:

http://www.histoiresoubliees.ca/histoire/jacques-de-lesseps-un-comte-dans-le-ciel

 

Nous devons toute notre reconnaissance à M. Yves Durette, pompier professionnel à Montréal et originaire de Matane d’avoir mis à notre disposition une collection impressionnante de photographies originales prises par Jacques de Lesseps. Ces photos patrimoniales couvrent l’ensemble du territoire des côtes gaspésiennes; elles nous livrent une source surprenante de détails géographiques et humains des villages qui occupaient la Gaspésie entre 1926 et 1927. Nous avons pu numériser l’ensemble de cette collection, et nous la présenterons bientôt dans ce chapître consacré à De Lesseps.

Chronique : Échos de la Nouvelle-France

Pierre Biron

Extrait : Qui eut comme père le « père du Canal de Suez » ? Qui survola la Manche pour la seconde fois ? Qui survola Montréal et Toronto pour la première fois ? Qui effectua les premiers relevés aériens pour cartographier la Gaspésie ? Lisez l’histoire de cet as des tout débuts de l’aviation, ce héro de la Première Guerre mondiale, ce pionnier de la cartographie par photographie aérienne, qui entra dans l’éternité en s’écrasant dans le St-Laurent entre Baie-des-Sables et St-Ulric à la faveur d’un épais brouillard.

JACQUES DE LESSEPS REVISITÉ

 

Fils du promoteur du Canal de Suez

Son père le vicomte Ferdinand de LESSEPS, aristocrate, diplomate, ingénieur, entrepreneur, fut le promoteur et bâtisseur du Canal de Suez en 1869. Jacques-Benjamin est le fils cadet d’un second mariage et nait à Paris le 5 juillet 1883.

Un élève qui apprend vite

Nous sommes aux tout débuts de l’aviation. Blériot franchit la Manche le 25 juillet 1909. Jacques réside au 11, ave Montaigne, une des plus élégantes rues de Paris entre les Champs-Élysées et le pont de l’Alma. Il décide sur le coup d’apprendre à piloter. Dès septembre 1909, il est inscrit à la petite école de pilotage de Issy-les-Moulineaux où Blériot prête ses monoplans aux aspirants. Jacques de Lesseps s’initie sur un aéronef à moteur Anzani. Trois mois à peine après avoir appris à voler il devient en décembre 1909 le premier décoller et atterrir de nuit. Le 6 janvier 1910 il reçoit de la Commission aérienne mixte sa licence de pilote no. 26, décernée par ordre alphabétique des apprentis (l’américain Wilbur Wright recevra le dernier numéro)

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En mars 1910, il achète un des premiers Blériot XI à moteur étoile 7 cylindres rotatifs, Gnome type Omega 50 CV et le baptise Le Scarabée.

Le prix des Champagnes Ruinart

Cette Grande Marque de Champagne – la plus ancienne, fondée en 1729 – est un mécène des pionniers de l’aéronautique. On offre 12 500 francs-or (37 500 euros en 2007) pour récompenser le pilote qui réussirait le premier vol aérien France-Angleterre dans un sens ou l’autre un samedi ou un dimanche. Blériot l’aurait obtenu en passant de Calais à Douvres le 26.7.1909 en étant le premier à accomplir cet exploit – qui lui vaut quand même le prix du Daily Mail – mais on le lui refusa sur la base d’une exigence bureaucratique : il n’avait pas inscrit dans un journal de bord la date prévue de son envolée !

Le samedi 21 mai 1910, De Lesseps devient à 26 ans le second pilote – 10 mois après l’exploit de Blériot – à traverser la Manche.

Le vol

Son appareil quitte le terrain de Les Baraques (aujourd’hui Blériot-Plage) à Calais vers 15 h 50 en direction de Douvres où une foule l’attend au site d’atterrissage de Blériot l’année précédente. La météo n’est pas idéale. Le contre-torpilleur Escopette l’accompagne sur l’eau pour lui indiquer la bonne direction et au besoin le récupérer. L’aéronef le rejoint et bientôt le dépasse et le perd de vue. Le pilote atteindra jusqu’à 2 700 pieds. En approchant de la côte anglaise à environ 60 milles à l’heure il rencontre un brouillard qui devient de plus en plus dense. À un moment donné il ne voit plus la mer ni la côte et son compas n’est plus de grande utilité.

Puis un trou dans la brume lui permet d’apercevoir le port de Douvres et le Bleriot Memorial près des falaises de St-Margarets Bay, marquant l’endroit où Blériot se posa en catastrophe un an auparavant et fait de pavés épousant la forme de son avion. Plus exactement 51.1312 degrés Nord par 1.326 degrés Est. En amorçant sa descente il découvre que son réservoir principal est épuisé et que le réservoir secondaire ne le remplit pas. À partir de 2 000 pieds le moteur s’arrête et l’atterrissage devient pressant. Le vol motorisé se termine en vol plané quelques kilomètres au Nord-Est de l’endroit prévu où une petite foule l’attendait.

L’atterrissage

Il choisit un champ bien plat sans arbres ni maisons et s’y pose correctement vers 14 h 32 après environ 42 minutes de vol. Le terrain d’atterrissage improvisé, dans les parages de St-Margarets Bay, appartient en partie à la Wanstone Court Farm gérée par deux demoiselles qui accourent pour l’accueillir avec enthousiasme, Miss Hewlett et Miss Wallan. L’autre partie est la Reach Court Farm d’un certain Monsieur Laslett qui se montre moins accueillant en faisant remarquer que les dommages causés à son foin s’élèvent à 4 livres sterling que De Lesseps en bon gentleman s’empresse de lui rembourser sur le champ, aux deux sens du terme.[i]

Notre héros échange promptement ses vêtements de vol contre un habit foncé et des chaussures blanches de gentleman avant de répondre aux questions des journalistes qui l’ont enfin rejoint au pas de course dans la campagne anglaise accompagnés de badauds de tout genre, jeunes et vieux, hommes et femmes, agents de la paix et journalistes. L’honorable Charles Stewart Rolls – fondateur de Rolls-Royce – fait partie de ceux qui accourent le féliciter. Le Daily Mail lui remettra le prix de 100 livres sterling promis à quiconque répéterait l’exploit de Blériot.

Jacques aurait voulu retourner en France par la voie des airs mais le mauvais temps le contraint à revenir en bateau le soir même. Un banquet lui est offert. Il gagne le prix Champagne Ruinart attaché à cet exploit. Et s’embarque aussitôt pour l’Amérique.[ii]

De Calais à Pointe-Claire

Six semaines plus tard on le retrouve à Montréal avec ses deux Blériot pour participer au premier rassemblement aérien canadien. La Grande semaine de l’aviation à Pointe-Claire est aussi le second rassemblement aérien mondial – le premier avait été tenu à Reims – et se déroule du 25 juin au 5 juillet 1910. Il avait accepté d’y participer à condition de recevoir $10 000 en honoraires et $5 000 en frais de transport pour lui, sa sœur et de son mari médecin, son frère, ses deux mécaniciens, et ses deux aéronefs.

 Le terrain d’aviation improvisé dans le quartier Lakeside consistait en cinq lots appartenant à cinq fermiers différents; il fallut que les organisateurs les aplanissent et en comblent les fossés. Le travail initial n’étant pas au gout du comte, il exigea de reprendre le travail à toute vitesse pour l’ouverture prévue le lendemain. La proximité du rail permettait de transporter rapidement les montréalais à « l’aéroport » de Pointe Claire, situé un peu à l’Ouest de la baie Valois et de l’actuel aéroport Pierre Elliott Trudeau de Dorval.

Le succès de ce pageant est immédiat. C’est cet été là que les Québécois entendirent pour la première fois le vrombissement des avions. De Lesseps y devient une vedette auprès du public québécois.

Premier à survoler Montréal

C’est dans le cadre de ce pageant que le 2 juillet 1910 il s’envole depuis les champs du quartier Lakeside à Pointe-Claire, à bord de son appareil monoplan Blériot XI baptisé Le Scarabée, pour survoler le fleuve Saint-Laurent jusqu’à l’île Sainte-Hélène avant de passer au-dessus de l’hôtel de ville et revenir à Lakeside en moins d’une heure.

Citons le Magazine Plein Vol : « La grande vedette de la semaine fut sans contredit le Français Jacques de Lesseps (1883-1927), représentant l’organisation Blériot. À peine un mois auparavant, l’aristocrate (fils du compte Ferdinand de Lesseps, bâtisseur du canal de Suez) avait réussi la deuxième traversée de la Manche, aux commandes – tout comme Louis Blériot un an avant lui – d’un avion Blériot XI baptisé Le Scarabée. Le 2 juillet, avec le même appareil, de Lesseps triomphait en survolant la ville de Montréal, une périlleuse boucle de 58 kilomètres qu’il accomplit très précisément en 49 minutes… et 3 secondes! »[iii]

Enchainons avec La Presse : « Il fait frissonner et haleter les foules par ses plongeons périlleux et […] remet son oiseau mécanique en position horizontale et atterrit avec la grâce, la légèreté d’un pigeon »[iv]. L’intrépide pilote en met plein la vue, pas étonnant que les journaux vantent ses prouesses et la pleine maîtrise de son appareil.

Son parcours emprunte la rive du lac St-Louis le long the Dorval, Lachine, Lasalle (l’aéronef est visible depuis Kahnawake), Verdun, Île Ste-Hélène, Îles de Boucherville puis au retour sur l’Île de Montréal il survole l’Hôtel de Ville, la rue Ste-Catherine, l’édifice de La presse, Westmount, Lachine et Dorval

Les Mohawks de Kahnawake sont fascinés, ils l’invitent à une cérémonie et le surnomment Tehanerahontsowaner, « le chef aux grandes ailes ».

Commémorations cent ans plus tard

En France à Blériot-Plage, Calais, la traversée de La Manche a été soulignée à l’initiative de l’historien québécois Jean-Marie Fallu, par l’association Culture et Patrimoine-Louis-Blériot et Côte d’Opale-Québec, une régionale de France-Québec avec laquelle Régionale Côtes-de-Gaspé-Percé (AQF) a un pacte d’amitié depuis 2005.[1]

À Gaspé le 21 mai 2010 au Musée de la Gaspésie, pour commémorer le même exploit, la Ville de Gaspé et la Régionale Côtes-de-Gaspé-Percé de l’Association Québec-France ont fait l’annonce de l’acquisition d’une œuvre d’art rappelant la présence de Jacques de Lesseps en Gaspésie en 1926 et 1927. La peinture intitulée « Jacques de Lesseps, un comte dans le ciel », œuvre de l’artiste gaspésienne Édith Jolicoeur, est alors exposées au Musée de la Gaspésie.

À Montréal en juillet 2010, pour souligner le 100e anniversaire du premier vol d’un avion au-dessus de l’île, son maire Gérald Tremblay invite la population à venir admirer dans le hall d’honneur de l’hôtel de ville une réplique grandeur nature du Blériot XI qui avait accompli ce vol en juillet 1910. Réplique que l’on doit à des bénévoles du Centre canadien de patrimoine aéronautique situé à Sainte-Anne-de-Bellevue, à l’extrémité Ouest de l’île de Montréal; ils mirent 10 ans à la construction pièce par pièce d’une réplique exacte.

Premier à survoler Toronto

C’est au Spectacle aérien de Toronto qu’il accomplit le 13 juillet 1910 le premier survol complet de la ville, soit 20 milles en 28 minutes, à 70 milles à l’heure à 2 000 pieds d’altitude. Il avait décollé sur son Blériot XI[v] depuis le terrain de la ferme modèle de W. W. Trethewey transformée pour l’occasion en terrain d’aviation, le premier dans cette ville. La piste d’envol correspondrait aujourd’hui au Hearst Circle situé un peu à l’est de l’aéroport Pearson non loin de Trethewey Drive et Jane Street.

Le même jour un biplan des frères Wright conduit par trois américains avait aussi pris les airs au même spectacle.[vi] L’événement était commandité par la Ontario Motor League, devenue le CAA.

Pour rappel, le Musée canadien de l’aviation à Ottawa comprend dans sa collection une magnifique peinture par Robert W. Bradford, intitulée Come Fly with Me et représentant le comte, un Scarabée et une jolie admiratrice.

Second survol de Montréal

Dans la foulée de ses exploits à Toronto, le comte revient s’exhiber à Montréal avec ses deux Blériot. Il réussit le 26 juillet 1910 une envolée d’une soixantaine de kilomètres depuis le parc d’amusement King Edward Park sur l’île Gros Bois qui fait partie de l’actuel parc des îles de Boucherville. Le vole dure 81 minutes le long des deux rives du St-Laurent; il commence par la rive nord jusqu’à hauteur de la rue Papineau, tourne au dessus de l’Île Ste-Hélène puis revient en longeant Boucherville. L’événement fit à nouveau sensation. Avant de quitter pour la France, De Lesseps vendit ses appareils au propriétaire du parc.

Vainqueur à New York

Le comte participe ensuite à la sensationnelle Statue of Liberty Race dont le parcours exige d’aller contourner la Statue de la Liberté et certaines balises depuis le Belmont Park à Long Island où se tient du 22 au 31 octobre le Great 1910 Aerial Tournament in Belmont NY.

Il est déclaré vainqueur et gagne le prix Thomas Fortune Ryan de $10 000. Le compétiteur britannique Claude Grahame-White est plus rapide mais disqualifié pour avoir raté une borne. On remarque parmi les autres inscrits le français Rolland Garros, dont un stade pour le tennis porte le nom, et le franco-américain John B. Moisant, émigré du Québec à Chicago. Belmont serait aujourd’hui sur le terrain de l’aérogare John F Kennedy.

Pour mémoire la Statue de la Liberté avait été remise par le vicomte Ferdinand De Lesseps au président américain Grover Cleveland le 28.9.1886 au nom du gouvernement français.

De Miss Mackenzie à Dame de Lesseps

De Lesseps était un aristocrate et menait la vie des jet-setters de son époque. Il épousera Grace Mackenzie, issue de la haute bourgeoisie torontoise, fille de Sir William Mackenzie, magnat du rail, propriétaire du Toronto Street Railway, président du Canadian Northern Railway.

La première rencontre eut lieu après le spectacle aérien de Toronto en juillet 1910 quand le magnat du rail invita le comte au huppé York Club dans l’hôtel particulier Gooderham près de Bloorpuis, puis à son luxueux domaine Benvenuto sur Avenue Road où il lui présenta ses trois filles dont Grace âgée de 22 ans. Jacques, 27 ans, les invita à venir le voir voler à New York en octobre.

Grace devint la première canadienne à prendre les airs quand elle le rejoignit avec ses deux sœurs au Belmont Park de Long Island où se tenait du 22 au 31 octobre le Great 1910 Aerial Tournament. Il lui fit voir Manhattan des airs le 25 octobre avant de répéter l’expérience avec ses deux sœurs.

Mariage londonien

Le mariage eut lieu l’année suivante à Londres le 25.1.1911. En voici le compte-rendu dans le The New York Times du lendemain:

« Londres, 25 janvier. – Mademoiselle Grace Mackenzie, fille de Sir William Mackenzie, le magnat canadien du rail, et le comte Jacques de Lesseps, l’aviateur français, se sont mariés aujourd’hui en l’église St. James, Spanish Place. Le révérend Gildea a béni la cérémonie, en présence d’invités bien branchés. Le comte de Mora servi de garçon d’honneur et les filles d’honneur comprenaient ses sœurs, Madame W.W. Beardmore née Kathleen et Mademoiselle Ethel Mackenzie, et une cousine Mademoiselle Mabel Magher …

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Après la cérémonie Sir William et Lady Mackenzie reçoivent à l’hôtel Claridge. Le voyage de noce est prévu en Égypte. Le comte De Lesseps est le fils du célèbre ingénieur Ferdinand De Lesseps. Il est âgé de 26 ans. Depuis l’an dernier il s’adonne à l’aviation et a réussi des envolées notoires, ayant franchi la Manche, et bouclé la statue de la liberté depuis Belmont Park dans une compétition avec le défunt John B. Moisant et Claude Grahame-White. Mademoiselle Mackenzie était montée en avion avec lui à Toronto et à New York mais depuis leurs fiançailles, le couple avait renoncé à ce sport périlleux. »

Les mariés résident à Paris jusqu’au début de la guerre, Dame de Lesseps y fait un peu de bénévolat comme infirmière pour l’armée française, mais préférera bientôt déménager à New York en 1915 pour être plus en sécurité pendant que son mari défend la France.

1923 est une mauvaise année : le père de Grace décède, l’empire Mackenzie est acculé à la faillite, et son mariage se fragilise. En 1946 Dame de Lesseps prenait des vacances à Cuba et, déjà en mauvaise santé, elle y décède à 56 ans. La famille ramènera éventuellement la dépouille à Kirkfield en Ontario où ses parents avaient été inhumés dans la région des lacs Kawartha juste à l’est du lac Simcoe.[vii]

Pilote de guerre décoré de la Première Guerre mondiale

De Lesseps réalise pas moins de 95 missions de bombardement, défend Paris contre les Zeppelins allemands en volant surtout de nuit, en plus d’effectuer de nombreux vols de reconnaissance et de photographie.

Ainsi le 5.8.1915 un dirigeable allemand qui survole Paris est atteint par les balles incendiaires tirées durant une demi-heure par les avions de De Lesseps et de Galliot. Le Zeppelin LZ79 percé sur l’arrière commence à perdre de l’air, de l’altitude et de la vitesse avant de s’écraser.

Trois ans plus tard le 15.8.1918, De Lesseps membre du 2e groupe de bombardiers se comporte en héros en effectuant trois bombardements nocturnes réussis en Lorraine : deux à Conflans et un à Audun le Roman. Il évite les tirs anti-avions en se tenant à très faible altitude et en profite pour reconnaitre les positions de l’ennemi dans la région[viii]. Cette bravoure est reconnue par les États-Unis qui lui décernent la Distinguished Service Cross.

Il est amplement décoré par la France (Chevalier de la Légion d’honneur, Croix de guerre, Ordre de la Nation Française, Quatre fois cité à l’ordre du jour pour bravoure) et finalement intronisé au Panthéon le 6.6.2001.

Après la guerre en 1919, son ancien commandant d’escadrille forma La Compagnie Aérienne Française. Recruté par son ami, De Lesseps devint chevronné dans le pilotage d’hydravion et la photographie aérienne. Il revient au Canada et travaille avec la Compagnie aérienne française (CAF) pour développer la technique de photogrammétrie en cartographie aérienne.

 Père de la cartographie gaspésienne

La CAF est choisie en 1926 par le ministre des Terres et Forêts de la Province de Québec, Honoré Mercier fils, pour réaliser le levé général de la Gaspésie. Selon l’entente avec la CAF, celle-ci doit réaliser des photographies aériennes obliques et panoramiques et dresser une carte générale du territoire à l’échelle de 40 chaînes au pouce.

Bases d’hydravions à Gaspé et Val-Brillant

Chef pilote et directeur d’exploitation de la CAF, Lesseps établit en 1926 une hydrobase principale à Gaspé et une seconde à Val-Brillant en 1927, sur les rives du lac Matapédia qui alimente la rivière du même nom, à une quarantaine de kilomètres au sud de Matane et au sud-est de Mont-Joli.

Ses appareils sont un Shreck FBA-17 G-CAFO et un Schreck FBA-21. Il peut au besoin atteindre 14 000 pieds d’altitude. Ses missions photographiques, qui se déroulent pendant les étés 1926 et 1927, serviront à la cartographie du territoire gaspésien, mais aussi à produire des cartes postales. En effet, près de 800 cartes postales de villages gaspésiens seront imprimées à Paris grâce aux images réalisées en basse altitude. L’efficacité de De Lesseps, plus de 200 heures de vol, permettra à la CAF de couvrir en 1926 une superficie de 9 800 km². En 1927 il est rendu à 15 000 km².

Durant les années 1926 et 1927 sa famille vivait à Toronto et ses filles fréquentaient l’école à Oakville en Ontario. Ses fillettes venaient passer l’été avec lui à Gaspé et il les confiait aux Ursulines de l’endroit.

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Hydravion G-CAFO de Jacques de Lesseps, au Lac Matapédia de Val-Brillant en 1927-1928. (Coll.privée M.Yves Durette, archives de la Corp. Lire la Mer, Matane)

Nuage à l’horizon : Ottawa est jaloux

 Malheureusement, les missions photographiques de Lesseps ne sont pas seulement marquées du sceau du succès. Le gouvernement fédéral, qui revendique la compétence exclusive en aéronautique, s’oppose à ce que le Québec ait recours à une compagnie étrangère. Ottawa demande à la CAF de créer une filiale canadienne, mais surtout d’avoir recours à des pilotes et à des ingénieurs qui sont sujets britanniques.

La CAF est forcée de se renommer la Compagnie aérienne franco-canadienne (CAFC) et de demander des certificats temporaires pour ses pilotes. Même si elle insiste sur la réputation internationale de son chef pilote, Ottawa demeure intraitable sur ce point. De Lesseps doit donc se résoudre à demander la nationalité canadienne mais l’affaire traine, ce qui menace son droit de voler.

Au centre d’un conflit constitutionnel

À l’automne 1926, l’affaire dégénère et les journaux se mêlent du dossier. Le Daily Star tente même à plusieurs reprises de discréditer De Lesseps afin de faire fléchir le gouvernement québécois sur cette question et de renoncer à employer cet « étranger ».

Comme le dit si bien le président de la Société gaspésienne du patrimoine Jean-Marie Fallu, dans L’Homme qui venait du ciel « Héros de la Première Guerre mondiale, Jacques de Lesseps a marqué les débuts de l’aviation commerciale au Québec. En 1926, il entreprend de réaliser la cartographie aérienne de la Gaspésie. Cette tâche audacieuse déclenche une querelle fédérale-provinciale qui le mènera à une fin tragique. »

Cette affaire connaît en effet un dénouement dramatique. Convoqué à Val-Brillant par le ministre des Terres et Forêts, Honoré Mercier fils, Lesseps tient à venir défendre son honneur à cette rencontre importante où l’on attend aussi le président de la compagnie mère venu de France pour l’occasion. Le comte quitte Gaspé pour la dernière fois.

 Le jour fatidique du 18 octobre 1927

Un appel téléphonique parvient trop tard à Gaspé pour l’avertir de la brume à Mont-Joli située à moins de 50 kilomètres de Val Brillant. Il avait déjà décollé de Gaspé vers 13 heures avec son mécanicien Theodor Chichenko sur son Schreck FBA 21. Un peu après 15 heures on entend le vrombissement de l’avion au-dessus de Val-Brillant, mais la brume l’empêche de se poser. On fait alors sonner les cloches de l’église et on braque vers le ciel les projecteurs de la compagnie de chemin de fer pendant toute la nuit. Le comte ne se posera jamais.

Il se dirige au compas vers le St-Laurent mais a du rater son amerrissage au large de Baie-des-Sables et Rivière-Blanche (St-Ulric), entre Métis-sur-mer et Matane. Les deux corps sont projetés dans l’eau. Trois jours plus tard le 22 octobre, une majorité des débris du fuselage, sans le moteur, sont trouvés sur le rivage, échelonnés jusqu’à Sainte-Félicité à une cinquantaine de kilomètres en aval de Baie-des-Sables. Son corps qui dérive avec les courants dans le golfe sera retrouvé après 48 jours le 4 décembre 1927 sur la rive de Port-au-Port (Clam Bank Cove) juste à l’ouest de Stephenville, Terreneuve, à environ 480 kilomètres de l’écrasement.

En 1981, soit 54 ans après l’accident, un pêcheur Matanais semi-hauturier, Steven Grant, pêche la morue entre Baie-des-Sables et Saint-Ulric sur son chalutier et remarque dans ses filets un petit réservoir d’huile avec une plaque de cuivre. Il conserve la plaque, parvient à y lire Hydravion FBA (pour Franco British Aviation), la range dans un tiroir, et 28 ans plus tard en 2009, soit 82 ans après l’accident, il la montre à l’ami Gérard Burnett qui, lui, se souvient de la tragédie. On nettoie la plaque qui révèle : Schreck Const [Argenteuil], Poids 6,00, Contenance 23, FBA 21.

Autre coïncidence, le français Jean-Baptiste Louis Tillier, grand-père maternel de Gérard Burnett, a travaillé à la construction du canal de Suez sous la direction de Ferdinand de Lesseps avant d’en diriger le trafic durant des années et d’en être décoré en 1870 par la reine Victoria.[1]

 Inhumation à Gaspé

Dans une lettre à son ami, le renommé journaliste Olivar Asselin, il écrivait: «Vous ne pouvez vous imaginer le magnifique et émouvant spectacle que l’on peut avoir dans les cieux de Gaspé […] Quelle merveilleuse vision offre aussi le contraste des couleurs entre la vaste péninsule et la mer qui la baigne: d’un côté, le velours vert et soyeux des forêts, artistiquement drapé suivant le caprice des monts et des vallées; de l’autre, le bleu du ciel, uni à celui du golfe éblouissant sous le soleil.»[2]

Premier homme à admirer la Gaspésie du haut des airs, il était fasciné par les charmes de la péninsule et c’est d’ailleurs selon ses vœux que « l’homme aux grandes ailes » fut enterré à Gaspé, le 14.12.1927. La dépouille fut ramenée au cimetière de Gaspé selon ses volontés. Un monument sculpté par Henri Hébert y fut inauguré le 18.8.1932 par Mgr Ross et diverses personnalités et amis tels Olivar Asselin[3].

 Son mécanicien

 La stèle commémorative inclut son mécanicien Theodor Chichenko, un Russe de nationalité française qui lui était entièrement dévoué. On y a gravé : « Né en 1894 à Gavrilouk, Russie, volontaire dans l’armée française pendant la guerre, disparu en mer avec Jacques de Lesseps. »[4]

En conclusion

Ce héros appartient à l’histoire de la France, de l’aviation mondiale, des relations Québec-Ottawa et de la Gaspésie.

Né à Paris dans l’aristocratie, il apprend à piloter du premier aviateur à traverser la Manche, et en devient le second.

Il passe à Montréal et Toronto pour y réussir des premières en aviation, ainsi qu’à New York où il gagne un prix.

Quand éclate en France la Première guerre, il s’engage dans l’aviation militaire et devient un as dument décoré.

Il s’installe au Canada pour entreprendre la cartographie aérienne de la forêt Gaspésienne.

Puis se retrouve au centre d’un différend constitutionnel fédéral-provincial.

Il périt dans la fleur de l’âge à 44 ans en pratiquant le métier hors du commun qu’il maitrisait si bien, dans un accident qui eut été évitable par des communications météorologiques moins rudimentaires.[5],[6]

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Références:

[1] Gilles Gagné, Un réservoir qui a de l’histoire, Le Soleil, 26 septembre 2009

[2] Jules Bélanger, Du nouveau au sujet de Jacques de Lesseps, Gaspésie, vol. XXX, n° 1, mars 1991, p. 6-13

[3] tourismegaspe.org/FR_H/19-Monuments

[4] http://www.aerosteles.net/fiche.php?code=gaspe-lesseps

[5]http://www.aerovision.org/index.php?option=com_content&view=article&id=45%3Alesseps-jacques-de&catid=1%3Afiches&Itemid=11&lang=fr

[6] http://aviatechno.free.fr/brevets/images_brevets.php?image=27

[1] http://www.cdgp09.org/DocUser/Final/OL/ABO905/Site4440/Blocks/Block857505!_!Communique_Jacques_de_Lesseps.doc

[i] http://www.doverlocals.co.uk/forum/topic/10423-lesseps-channel-flight-centenary-21-may-2010/

[ii] http://motslocaux.hautetfort.com/espace/, 21 mai 2010

[iii] Magazine Plein Vol, février 2010, page 30, sur http://www.patrimoinepointeclaire.org/pdf/LeSaviezVous/030-031_Histoire_de_l’aviation.pdf,

[iv] La Presse, 27 juin 1910

[v] http://www.histoiresoubliees.ca/article/jacques-de-lesseps-un-comte-dans-le-ciel/jacques-de-lesseps

[vi] toronto.ca/torontoplan/lost_examples2

[vii] http://www.phsc.ca/CarlMills.html

[viii] http://www.eastlondonforum.com/viewtopic.php?f=9&start=15&t=2725

[1] http://www.cdgp09.org/DocUser/Final/OL/ABO905/Site4440/Blocks/Block857505!_!Communique_Jacques_de_Lesseps.doc

[i] http://www.doverlocals.co.uk/forum/topic/10423-lesseps-channel-flight-centenary-21-may-2010/

[ii] http://motslocaux.hautetfort.com/espace/, 21 mai 2010

[iii] Magazine Plein Vol, février 2010, page 30, sur http://www.patrimoinepointeclaire.org/pdf/LeSaviezVous/030-031_Histoire_de_l’aviation.pdf,

[iv] La Presse, 27 juin 1910

[v] http://www.histoiresoubliees.ca/article/jacques-de-lesseps-un-comte-dans-le-ciel/jacques-de-lesseps

[vi] toronto.ca/torontoplan/lost_examples2

[vii] http://www.phsc.ca/CarlMills.html

[viii] http://www.eastlondonforum.com/viewtopic.php?f=9&start=15&t=2725